Stéphane Mariesté par Tophiv, le 9 novembre 2006

J’ai eu l’occasion de rencontrer Stéphane Mariesté une fois. Fin de l’été 2006, une terrasse de café en Haute Savoie. Il était avec sa Babylone, pas celle de son roman, celle qui partage sa vie. Son roman était prêt, il lui restait tout juste deux mois avant de s’exposer dans nos librairies. Première rencontre oblige, nous avons parlé de tout, de rien et les minutes ont défilé. Un peu de Nouvelle Calédonie, de Belgique, la rencontre avec l’éditeur, la discipline d’écriture, l’envie de continuer, la passion … et derrière tous ces mots, une personnalité qui se dessine. Je ne saurais vous dire à coup sûr qui est Stéphane Mariesté mais si je devais le définir, je dirai que sous des apparences de bourlingueur gouailleur se cache une sensibilité exacerbée, une âme blessée, une âme qui a vécue plus que son âge et qui pourtant trimballe une envie d’embrasser la vie chaque jour, une envie de lui dire que malgré ses douleurs, elle vaut le coup. Voilà peut-être ce que je vous en dirai si je le connaissais vraiment bien et sinon vous pouvez toujours jetez un œil à sa présentation, plus « officielle » : http://www.stephane-marieste.com

Allez, commençons tout de suite par une question énervante parce que sûrement très souvent posée, est ce que cette Babylone existe ?

Babylone vit, existe aussi sûrement qu’un idéal féminin crèche sous la caboche de chaque homme.

Comment est née cette histoire ? As tu d’abord eu l’envie de parler de Babylone ou de la guerre en Irak ? Ou les deux idées se sont imposées en même temps. As tu tout de suite eu l’envie d’en faire un roman ?

Le 20 mars de 2003, l’intervention de Romain Goupil sur les ondes de France Inter m’a foutu hors de moi. Il validait l’intervention américaine en Irak. J’ai donc dans la foulée balancé mon incompréhension sur écran, c’était les premiers mots de Babylone. Les relisant, je me suis dit quelque chose comme : « Pas si mal » C’était orgueilleux, très, mais l’orgueil n’est-t-il pas l’un des moteurs principaux du « Faire » ? Le lendemain, j’ai de nouveau écouté le Sept-Neuf, puis écrit et ajouté la fiction à la réalité — je suis infoutu d’être sérieux très longtemps — et tous les jours qui ont suivi se sont déroulés de la même façon : journal radiophonique au petit-déjeuner suivi par l’écriture de sept à huit milles signes. J’avais dans la tête la simple idée que le texte s’arrêterait lorsque la guerre ne ferait plus la une de l’actualité. Vingt-huit jours plus loin, la grippe aviaire ravissait la vedette au conflit Irakien, aussi, j’ai déposé le mot fin en bas de page. Relisant l’ensemble, j’ai réalisé que je tenais quelque chose qui ressemblait à un roman.

Que penses tu de la situation actuelle en Irak ? Es tu toujours un non-aligné ou es tu passé du côté allié ?

En bref, parce que je ne suis pas un spécialiste de la question Irakienne, je dirais que la situation actuelle était prévisible : on n’installe pas une démocratie par la force ; nul n’y est jamais arrivé. On compte les morts, côté coalition, par milliers, côté irakien, par centaines de milliers. On a fait de l’Irak le berceau de quelques organisations terroristes et l’avenir s’annonce sombre, pire que le passé sans doute. Je suis toujours et profondément non-aligné, ce qui ne veut pas dire anti américain mais anti politique Bush père & fils, ce qui ne veut pas dire non plus pro Hussein.

Petite question philo : Est ce qu’il faut être amoureux pour écrire sur l’amour ou est ce que c’est en écrivant sur l’amour que l’on tombe amoureux ?

Je ne sais pas, aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été amoureux. Je crains que chez moi, ce soit un état permanent. Pour écrire l’amour est-ce plus facile ? Oui, j’imagine que oui mais sans en être tout à fait convaincu. Une chose en tout cas est certaine, c’est qu’écrivant Babylone, j’en suis tombé raide dingue, j’ai dormi avec, pris mes repas avec, et je ne sais combien de fois nous avons fait l’amour elle et moi, mais quelque chose comme tout le temps. Bien possible alors, que pour faire passer les sentiments, qu’ils basculent chez le lecteur, il faut aimer ses personnages, même si lesdits personnages sont pure invention.

J’ai lu que tu aimais Brautigan, Léo Ferré … Peux tu nous parler un peu de ton univers, de tes sources d’inspirations …

L’œuvre de Brautigan me fascine, pour moi « Mémoires sauvés du vent » est le chef-d’œuvre par excellence. Je le relis souvent pour essayer d’en démonter le mécanisme temporel : en vain, mais je suis têtu. J’aime John Fante, Bukowsky, Faulkner… J’ai une affection particulière pour le style d’Ajar, celui de Djian et de quelques autres… Quant à Léo Ferré, j’ai grandi avec, et sans doute est-ce lui qui m’a donné le goût des mots. Pour ce qui est des sources d’inspiration, en réalité je n’en connais qu’une : la vie. J’observe, à la table d’un bistro, dans un supermarché, n’importe, tout est bon, la vie est un roman qui s’écrit sans cesse, pile sous nos yeux, ce qui fait que j’ai plus souvent l’impression d’être un traducteur, qu’un auteur.

Dans ton livre, tu écris « […] dans le fond, je sais pertinemment qu’un écrivain, à part ou non, ça n’existe pas, pas davantage un peintre, un sculpteur, ou plus simplement que le talent est une belle foutaise, une belle connerie, une vraie de vraie. La vérité c’est qu’il n’est pas d’artistes, mais des êtres tenaces, pas d’œuvre qui ne soit pas née de la persévérance à reproduire infiniment le même geste, pas de rêve qui ne soit pas payé d’efforts, de modestie appliquée ». Le penses tu vraiment ? Ne faut il pas un peu de talent en plus ?

Le talent est à mon sens une aberration. Brassens disait à ce sujet quelque chose comme « Le talent c’est 5% de génie et 95% de sueur ». Evidemment, on pourrait imaginer que lesdits 5% sont un don du Très Haut, mais très franchement je n’y crois pas. Rien ne me destinait à écrire et pour être franc je n’avais pas écrit un mot, je n’y avais même jamais pensé jusqu’en septembre 2001. J’avais donc 37 ans lorsque j’ai pour la première fois balancé deux trois phrases sur le papier. Elles étaient si mauvaises que je me suis mis à dévorer de la littérature et à écrire, et recommencer encore et encore. La seule chose qui me distingue d’un autre, c’est mon entêtement, et peut-être cette insatiable envie.

Combien de temps depuis le début du projet jusqu’à la parution du roman ? Combien de versions, de courriers, de nuits blanches … ?

Cela a pris trois années : deux pour que Babylone trouve un éditeur, une année pour le remanier. Des nuits blanches ? Oui, des nuits passées à faire renaître le style d’alors — parce que le style est en constante mutation — pour ajouter d’autres pans à l’histoire et les ajouter sans tomber dans ce que certains qualifient de « Profondeur » et que moi, je nommerais plus volontiers du « Facile ». Il existe 42 versions, plus ou moins différentes de Babylone. Du courrier ? Beaucoup de cartes postales de ma mère pendant ces trois années, mais elle voyage sans cesse et elle n’aime guère le téléphone.

Ton roman vient de sortir, un mois après la rentrée littéraire. Comment vis tu cette aventure et notamment comment vis tu l’omniprésence des Angot, D’Arvor et autre Littell dans les médias au détriment de la majeure partie de la production littéraire et notamment des premiers romans.

« Les bienveillantes » de Littel est un premier roman, mais un roman poussé par une force marketing jamais égalée en France. Cela dit, je ne l’ai pas encore lu — adonc, je ne peux savoir si l’ovation groupée est méritée ou factice. Pour le reste, je regrette, comme beaucoup— j’imagine — que les medias aient aujourd’hui pour seule ambition de vendre de la pub et non de l’information, aussi parlent-ils encore et toujours des mêmes, bloquant de fait, l’émergence des nouveaux talents. Cela dit, c’est la loi du marché et cela va dans le sens de la demande : une interview d’Amélie Nothomb ou de Bernard Werber augmente considérablement les ventes d’un magazine, l’audimat d’une émission télé…

Ces dernières années, beaucoup de romans étaient assez noirs, plaintifs, négatifs. Le tien est pour moi exactement l’inverse de cette tendance : positif, gai, frais. Il donne envie de vivre. Est ce une volonté de contre pied ou le reflet de ta personnalité ?

C’est une volonté délibérée. J’avais en tête d’éviter les écueils du pathos, la longue litanie du type qui s’interrogerait sur sa vie, ses choix, ses envies, sa place dans sa société, sa non-place, sa pas place du tout. Genre : un qui cultiverait son mal-être avec, comme seul souci, celui d’inviter le lecteur à sa table et que tout le monde chiale à la fin en s’épanchant sur la tragique destinée du monde. J’avais envie d’évacuer le « facile » évoqué tout à l’heure. J’avais envie de faire sourire dans le métro, dans un train, ailleurs, envie que lisant mes lignes, ne serait-ce qu’un instant, le lecteur oublie son quotidien. J’avais envie de livrer un peu d’espoir, à défaut : un peu d’humanité, de déclencher un sourire ou deux. J’avais envie de dire « T’as vu, c’est la guerre, c’est la merde, de la merde humaine et elle sent salement mauvais celle-là. Oui, peut-être, mais quelque part il y a encore un type qui croit au bonheur, alors viens dans les bras de mes lignes et oublie un peu la vie-conasse. » Oublier les emmerdes c’est déjà concevoir le bonheur. Et pour être tout à fait franc, et pour avoir lu pas mal des bouquins « Négatifs » que tu évoques dans ta question, il est autrement plus difficile pour un auteur de faire oublier le quotidien à un lecteur, que de lui foutre le nez dans la merde du monde. À ce propos, j’ai lu qu’une des critiques de CL qualifiait la fin de Babylone de « Gentillette » ça m’a fait sourire parce que cette fin n’est pas mienne, mais la réalité. J’avais envoyé le manuscrit à quelques éditeurs dont je trouvais le travail intéressant et aucun d’eux ne l’avait retenu, aussi j’avais abandonné l’idée de le voir publier. Sans m’en avertir, un pote à qui je l’avais fait lire et qui l’avait aimé, parce qu’il avait décroché un stage chez Intervista, l’a glissé dans la pile des dizaine de manuscrits en attente. Une semaine plus tard Constance Joly-Girard, directrice de collection, me téléphonait pour me proposer un contrat. C’est pas la fin de Babylone qui est gentillette, non, c’est la vie.

Et maintenant, quelle est la suite ? Es tu en phase de « récupération » après cette aventure ou es tu déjà en train de travailler à un second roman ? Ou peut être un changement de forme : essai, nouvelles …

J’ai finalisé un recueil de nouvelles. J’ai un roman en cours, et le plan d’un troisième qui lui, sera beaucoup plus épais. Et peut-être, non sûrement, parce que ça me titille, je vais me mettre à l’écriture d’un scénario .

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